La ligne pure, Hauviette Bethemont, 2020
Il se dit que les ateliers racontent toute une histoire, qu’ils parlent sans détour des artistes qu’ils abritent. Celui de Danièle Orcier ne déroge pas à cette règle. Son atelier ne sent pas la térébenthine, ni les pigments mélangés à de l’huile, ici pas d’éclaboussure ni de toile. Danièle Orcier dessine.
Dans son atelier les feuilles de papier s’accumulent, montent à l’assaut des murs, en se déroulant et se déroulant parfois au sol. Ici pas de couleur, juste du noir et blanc qui simule des vagues, des cartes de voyages intimes. Il ne s’agit pas d’abstraction mais tout au contraire des lignes pleines de force de vie, de corps.Si l’on demande à Danièle Orcier ce qui l’a poussée à commencer un travail artistique, elle répond sobrement, le paysage. Pas n’importe quel paysage, celui qui justement entoure son atelier. Un espace qui se cache et se mérite, au bout d’un chemin sans issue. Comme une île, une maison et son bassin d’eau fermés d’un côté par les impressionnantes parois d’une roche haute et immuable. Amphithéâtre à ciel ouvert, elles semblent clore une vue sans fin. D’abord des vallons jouant de leurs courbes pour s’ouvrir en éclaircie sur la vallée du Rhône. D’ici j’ai l’impression d’aller jusqu’à la mer, dit-elle. Un point de fuite qu’elle imagine sans fin. Les lignes de ce paysage font partie de son expression. Elle les travaille en épure dans son atelier. Une mine de plomb et une gomme lui suffisent plus que jamais.C’est une histoire intime que Danièle Orcier raconte de tout son corps, un face-à-face avec une page blanche.
Tout commence avec le papier, une véritable passion qui l’amènera à étudier de près sa fabrication artisanale, celle qui consiste à broyer de vieux tissus puis à les plonger dans l’eau pour les attendrir avant le martelage. À l’aide d’un tamis, ils se transforment alors en une fragile présence, un maillage devenu cohérent. Juste une feuille légère. Une feuille chargée d’histoire, trop belle pour y ajouter sa note. Elle préfère finalement le papier industriel qui lui offre la possibilité d’une grande surface. Danièle Orcier affronte ce grand blanc en sachant que chaque trait viendra changer ce désert parfait. L’artiste travaille à main levée, pas de coup de crayon, pas de repentir. D’un ample mouvement du bras, elle balaie de lignes la feuille. Le plus difficile est de trouver ensuite le bon rythme, comme une partition les lignes se suivent, se regardent, se mêlent, se côtoient. Elle le reconnaît, c’est un exercice difficile où s’associent intuition et savoir-faire. On ne peut reproduire le tracé d’une ligne qui a été faite dans un seul mouvement. C’est si vrai que les peintres archéologues de la Grotte Chauvet étaient dans l’incapacité de retrouver exactement ce geste unique. Les chevaux en particulier qui à leur grande surprise ont été dessinés en trois grands traits. Sans hésitation l’un va de la croupe au museau, donnant déjà l’esquisse en mouvement de l’animal.C’est justement cette incroyable inscription de l’instant qui donne aux œuvres de Danièle Orcier toute leur force. Dans ses dessins à l’horizontal chacun peut venir lire ce qu’il veut, un flux d’énergie, une pulsation cardiaque, un rythme musical. Le geste sans fin, elle se l’est approprié avec les cercles. Au lieu de s’inscrire dans les frontières de la page, elle a mis en boucle son crayon, imprimant au fur et à mesure une épaisseur au trait, remplir le vide au maximum à la façon d’un derviche tourneur. Comme une hypnose totale, une ébriété volontaire, une totale saturation.Depuis peu, Danièle Orcier a choisi de travailler sur de plus grands formats, des feuilles de 2,50 mètres qui l’obligent à une tout autre manière de concevoir son espace. Plus question ici du geste libre et de combler à tout prix le vide. Tout au contraire, elle appréhende toujours avec son corps la verticale, elle dessine à terre, elle dessine debout. Les murs de l’atelier sont devenus partie intégrante de l’œuvre. C’est une autre vie qui vient s’exprimer, plus fragile, plus délicate. Les lignes se font rivières, arbres peut-être ? Ou géographie d’une terre inconnue ? Elles roulent et s’arrêtent soudain puis reviennent. Elles transgressent le réel pour sortir du cadre. Les chemins de traverse sont inépuisables...Danièle Orcier coupe et découpe le dessin en juxtaposant le nouveau et l’ancien. Elle reprend des dessins mis en attente : je ne savais plus si je devais ajouter ou enlever, je leur donne une deuxième vie, je prends tous les risques de les gaspiller, mais la mise de côté de certains dessins est importante, ils pouvaient tomber dans le vide pendant longtemps puis je leur trouve une nouvelle dynamique.Les rouleaux de papier forment des vagues sur le sol, des cadres vides viennent focaliser un détail, le hors-champ déconstruit ou reconstruit un dessin. Une liberté totale émane de ces œuvres, une ramification sans fin qui lie le passé au présent.Il suffit de se laisser aller à suivre les courbes, les lignes si chargées d’intensité physique pour comprendre toute la charge émotionnelle de l’œuvre de Danièle Orcier.
Hauviette Bethemont, 2020